Tribune de Patrick Braouezec dans Le Monde du 17 mars 2011
La gauche dans sa diversité est-elle capable de mettre fin au sarkozysme, synonyme de destruction de politiques publiques, sociales et solidaires que le mouvement social avait mis des décennies à construire ?
Peut-elle ouvrir une
perspective politique alternative ? Et
comment ? A seize mois des élections
présidentielles et législatives, ce sont les
questions que cette gauche polymorphe
devrait se poser. Le Parti socialiste et
Europe Ecologie-Les Verts ont choisi le
principe de primaires pour designer leur
candidat. Au-delà de la personne qu’ils
désigneront, il leur revient de dire s’ils
entendent simplement réaliser l’alternance
ou s’ils veulent rompre avec le sociallibéralisme
et l’écolo-libéralisme. La
gauche de gauche est elle-même face à
une triple responsabilité :
F Travailler à l’élaboration d’un projet en
rupture réelle avec la loi de l’argent et d’une
plateforme de propositions alternatives en
matière économique, sociale, sociétale et
écologique.
F Ne pas reproduire au premier tour de
l’élection présidentielle la multiplicité des
candidatures, synonyme d’émiettement,
d’affaiblissement et de découragement. Et
pour ce faire, construire un nouveau type de
rassemblement qui transforme le Front de
gauche, aujourd’hui simple cartel
d’organisations, en dynamique populaire et
citoyenne.
F Travailler en vue du deuxième tour avec
les socialistes et les écologistes à un
programme dont la convergence des
contenus pourra ou non se traduire par une
participation à un gouvernement mais qui
sera une base exigeante de dynamique de
2ème tour et non un simple désistement
d’entre deux tours.
Communiste, ayant quitté le Parti mais
pas l’engagement communiste, je suis
particulièrement inquiet des prémisses
de la campagne présidentielle et de son
issue. Je passe sur le processus de
désignation des candidats socialiste et
écologiste. Processus périlleux mais dans
lequel la gauche de gauche n’a pas à
s’immiscer sauf à y participer, ce que je ne
souhaite pas. Il reviendra à cette gauche de
gauche de prendre acte le moment venu de
leur candidat respectif et surtout d’apprécier
les convergences possibles de leur projet
avec le sien. Encore faudra-t-il que ce projet
de gauche de gauche existe et qu’il
constitue la base d’une candidature
commune. Plusieurs raisons m’amènent à
douter de réaliser l’un et d’aboutir à l’autre.
La première raison réside dans le choix que
semble avoir fait le Parti communiste
français (PCF) de soutenir la candidature de
Jean-Luc Mélenchon. En 2006, dans des
conditions favorables issues de la victoire
du «non de 2005», où le PCF avait joué un
rôle incontesté, sa direction a fait le choix de
la division en refusant qu’une personnalité
non communiste, dans une conception de
campagne collective, puisse émerger. On
en connaît le résultat et les conséquences.
Aujourd’hui, dans une alliance d’appareils,
créant les pires conditions, il semble s’en
remettre à une personnalité, talentueuse au
demeurant, qui a su habilement confondre
Parti de gauche et Front de gauche, et qui
renforce par sa personnalité le caractère
présidentiel et personnel d’une candidature
qui mériterait d’être collective. Communiste,
je ne puis me résoudre à ce qui semble être
aujourd’hui inéluctable. Mon seul objectif est
d’alerter et de pointer des faits, des propos,
des manques et des absences de ce début
de campagne plus marqué par les petites
phrases que par le contenu.
La deuxième raison concerne la question
du populisme. Je ne ferai jamais
l’amalgame entre le populisme de gauche
et le populisme de droite (extrême ou non).
J’admets volontiers qu’ils sont distincts et
qu’ils n’ont pas le même objectif. Mais force
est de constater que l’un comme l’autre vise
plus à diviser qu’à rassembler, à tendre
plutôt qu’à réconcilier, à entretenir le
simplisme plutôt qu’affronter la complexité,
à flatter les instincts qu’appeler à la raison.
Je ne crois pas non plus que l’invective,
l’opprobre, la colère (feinte ou réelle) soient
de bonne augure dans une société déjà
suffisamment manichéenne, divisée et
violente.
Le mouvement progressiste n’a jamais été
aussi fort que dans les moments où il a su
associer les intellectuels et la classe
ouvrière. Le peuple aujourd’hui est divers.
Chacun peut constater dans ce début de
campagne l’absence du peuple qui
souffre le plus : les salariés, les privés
d’emploi, mais aussi les sans-logis, les
sans-papiers, les jeunes et les habitants des
quartiers qui «dérangent». Il serait
irresponsable de ne parler que des uns et
pas des autres, voire pire : d’opposer les
uns aux autres.
Enfin, je doute de la capacité de la gauche
de gauche à construire une alternative, une
perspective élaborée et partagée non pas
simplement par des organisations et leurs
militants, mais plus largement par le peuple
dans sa diversité, et à mettre à profit le
foisonnement de pensées critiques.
Qu’attend-elle pour intégrer dans son travail
les propositions de ces 630 économistes
«enragés», du travail des chercheurs,
d’intellectuels : de Bernard Stiegler et de
son économie de la contribution ; d’Edgar
Morin et de son invitation à «l’éloge de la
métamorphose», à considérer notre temps
dans sa complexité et son incertitude ; de
Patrick Viveret et de son idée de «sobriété
heureuse» prônant le développement de
l’être plutôt que la croissance de l’avoir ;
d’Alain Bertho et de son étude sur les
émeutes, bref du travail de centaines
d’autres qui analysent, proposent,
tracent de nouvelles voies pour un autre
monde ?
Qu’attend-t- elle pour faire confiance à ces
militants associatifs inlassables, à ces
jeunes des quartiers populaires qui
désespèrent des institutions mais pas
encore complètement du politique, aux
mouvements sociaux qui comme
récemment à Dakar ont fait la preuve de
leur vitalité et de l’actualité de leurs
propositions ? Au-delà d’un programme qui
devra être décliné le moment venu en
propositions concrètes (relèvement des
salaires, redistribution de l’argent, droit de
vote des étrangers, création d’emplois,
revenu minimum d’existence, régularisation
des sans-papiers, service public du
logement de l’eau, refondation des
politiques énergétiques, éducatives,
culturelles, de santé…), il revient à cette
gauche de gauche de mettre en débat la
perspective d’une autre société. Il lui
revient de construire un projet partagé : un
«nous» solidaire construit de «je» multiples.
Patrick Braouezec
député de Seine-Saint-Denis
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