Peut-elle ouvrir une

perspective politique alternative ? Et

comment ? A seize mois des élections

présidentielles et législatives, ce sont les

questions que cette gauche polymorphe

devrait se poser. Le Parti socialiste et

Europe Ecologie-Les Verts ont choisi le

principe de primaires pour designer leur

candidat. Au-delà de la personne qu’ils

désigneront, il leur revient de dire s’ils

entendent simplement réaliser l’alternance

ou s’ils veulent rompre avec le sociallibéralisme

et l’écolo-libéralisme. La

gauche de gauche est elle-même face à

une triple responsabilité :

F Travailler à l’élaboration d’un projet en

rupture réelle avec la loi de l’argent et d’une

plateforme de propositions alternatives en

matière économique, sociale, sociétale et

écologique.

F Ne pas reproduire au premier tour de

l’élection présidentielle la multiplicité des

candidatures, synonyme d’émiettement,

d’affaiblissement et de découragement. Et

pour ce faire, construire un nouveau type de

rassemblement qui transforme le Front de

gauche, aujourd’hui simple cartel

d’organisations, en dynamique populaire et

citoyenne.

F Travailler en vue du deuxième tour avec

les socialistes et les écologistes à un

programme dont la convergence des

contenus pourra ou non se traduire par une

participation à un gouvernement mais qui

sera une base exigeante de dynamique de

2ème tour et non un simple désistement

d’entre deux tours.

Communiste, ayant quitté le Parti mais

pas l’engagement communiste, je suis

particulièrement inquiet des prémisses

de la campagne présidentielle et de son

issue. Je passe sur le processus de

désignation des candidats socialiste et

écologiste. Processus périlleux mais dans

lequel la gauche de gauche n’a pas à

s’immiscer sauf à y participer, ce que je ne

souhaite pas. Il reviendra à cette gauche de

gauche de prendre acte le moment venu de

leur candidat respectif et surtout d’apprécier

les convergences possibles de leur projet

avec le sien. Encore faudra-t-il que ce projet

de gauche de gauche existe et qu’il

constitue la base d’une candidature

commune. Plusieurs raisons m’amènent à

douter de réaliser l’un et d’aboutir à l’autre.

La première raison réside dans le choix que

semble avoir fait le Parti communiste

français (PCF) de soutenir la candidature de

Jean-Luc Mélenchon. En 2006, dans des

conditions favorables issues de la victoire

du «non de 2005», où le PCF avait joué un

rôle incontesté, sa direction a fait le choix de

la division en refusant qu’une personnalité

non communiste, dans une conception de

campagne collective, puisse émerger. On

en connaît le résultat et les conséquences.

Aujourd’hui, dans une alliance d’appareils,

créant les pires conditions, il semble s’en

remettre à une personnalité, talentueuse au

demeurant, qui a su habilement confondre

Parti de gauche et Front de gauche, et qui

renforce par sa personnalité le caractère

présidentiel et personnel d’une candidature

qui mériterait d’être collective. Communiste,

je ne puis me résoudre à ce qui semble être

aujourd’hui inéluctable. Mon seul objectif est

d’alerter et de pointer des faits, des propos,

des manques et des absences de ce début

de campagne plus marqué par les petites

phrases que par le contenu.

La deuxième raison concerne la question

du populisme. Je ne ferai jamais

l’amalgame entre le populisme de gauche

et le populisme de droite (extrême ou non).

J’admets volontiers qu’ils sont distincts et

qu’ils n’ont pas le même objectif. Mais force

est de constater que l’un comme l’autre vise

plus à diviser qu’à rassembler, à tendre

plutôt qu’à réconcilier, à entretenir le

simplisme plutôt qu’affronter la complexité,

à flatter les instincts qu’appeler à la raison.

Je ne crois pas non plus que l’invective,

l’opprobre, la colère (feinte ou réelle) soient

de bonne augure dans une société déjà

suffisamment manichéenne, divisée et

violente.

Le mouvement progressiste n’a jamais été

aussi fort que dans les moments où il a su

associer les intellectuels et la classe

ouvrière. Le peuple aujourd’hui est divers.

Chacun peut constater dans ce début de

campagne l’absence du peuple qui

souffre le plus : les salariés, les privés

d’emploi, mais aussi les sans-logis, les

sans-papiers, les jeunes et les habitants des

quartiers qui «dérangent». Il serait

irresponsable de ne parler que des uns et

pas des autres, voire pire : d’opposer les

uns aux autres.

Enfin, je doute de la capacité de la gauche

de gauche à construire une alternative, une

perspective élaborée et partagée non pas

simplement par des organisations et leurs

militants, mais plus largement par le peuple

dans sa diversité, et à mettre à profit le

foisonnement de pensées critiques.

Qu’attend-elle pour intégrer dans son travail

les propositions de ces 630 économistes

«enragés», du travail des chercheurs,

d’intellectuels : de Bernard Stiegler et de

son économie de la contribution ; d’Edgar

Morin et de son invitation à «l’éloge de la

métamorphose», à considérer notre temps

dans sa complexité et son incertitude ; de

Patrick Viveret et de son idée de «sobriété

heureuse» prônant le développement de

l’être plutôt que la croissance de l’avoir ;

d’Alain Bertho et de son étude sur les

émeutes, bref du travail de centaines

d’autres qui analysent, proposent,

tracent de nouvelles voies pour un autre

monde ?

Qu’attend-t- elle pour faire confiance à ces

militants associatifs inlassables, à ces

jeunes des quartiers populaires qui

désespèrent des institutions mais pas

encore complètement du politique, aux

mouvements sociaux qui comme

récemment à Dakar ont fait la preuve de

leur vitalité et de l’actualité de leurs

propositions ? Au-delà d’un programme qui

devra être décliné le moment venu en

propositions concrètes (relèvement des

salaires, redistribution de l’argent, droit de

vote des étrangers, création d’emplois,

revenu minimum d’existence, régularisation

des sans-papiers, service public du

logement de l’eau, refondation des

politiques énergétiques, éducatives,

culturelles, de santé…), il revient à cette

gauche de gauche de mettre en débat la

perspective d’une autre société. Il lui

revient de construire un projet partagé : un

«nous» solidaire construit de «je» multiples.

Patrick Braouezec

député de Seine-Saint-Denis