Société SOS pour les sciences-éco … 16 décembre 2012 à 19:06 Par Stéphane Beaud Sociologue à l’Ecole normale supérieure, Guy Dreux Professeur de SES au lycée Rodin, Paris XIIIe et Gilles Raveaud Economiste à Paris-VIII-Saint-Denis

Le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, a déclaré récemment que l’enseignement des sciences économiques et sociales avait été «malmené» (c’est un euphémisme), avant d’annoncer la constitution d’un groupe de travail devant proposer des aménagements et allégements de programme. Pour notre part, «alléger» le programme, c’est ne pas prendre la mesure de la profonde remise en cause de cet enseignement sous l’ère Sarkozy. Alléger reviendrait, au fond, à entériner le travail idéologique de sape savamment organisé depuis plusieurs années réduisant cet enseignement au lycée à une propédeutique des lois fondamentales (dont l’existence est plus que douteuse) de l’économie. La Commission européenne insiste depuis longtemps sur la nécessité de façonner les opinions publiques qui, notamment en France, manifesteraient une insuffisante maîtrise des réalités économiques et des lois de l’économie. Divers lobbys et institutions - le Codice créé en 2006 par Thierry Breton, l’Institut de l’entreprise présidé par Michel Pébereau… - ont relayé cette volonté en plaidant pour des révisions assez radicales des programmes scolaires. Le rapport commandé par Xavier Darcos en 2008 à Roger Guesnerie, professeur d’économie au Collège de France, a fourni les principaux arguments «académiques» à cette opération, en reprochant aux (anciens) programmes d’avoir des ambitions démesurées au regard de leur outillage conceptuel. Il leur reprochait de partir de «problèmes» (plus ou moins bien définis) et non de «concepts» (scientifiques), d’enseigner une sociologie «abstraite, déterministe et trop compassionnelle» et de faire la part trop belle à la macroéconomie, incertaine et pragmatique, quand il faudrait donner la primauté à la microéconomie, «scientifique», elle. Pour revenir à un esprit plus scientifique, moins relativiste, le rapport plaidait pour un «retour aux fondamentaux» ! C’est précisément ce que les nouveaux programmes comme les nouvelles épreuves du baccalauréat, imposés par Luc Chatel à partir de septembre 2011, ont pour tâche d’accomplir. Alors que, dans son ambition initiale, cet enseignement de culture générale associait les différentes sciences humaines, aujourd’hui, au nom de la «scientificité», on isole l’économie et la sociologie, en abandonnant quasiment toute perspective historique et en donnant une version réductrice de ces deux disciplines. Depuis leur création dans les années 60, sous de Gaulle et Pompidou, les sciences économiques et sociales (SES) ont toujours bousculé bien des conservatismes scolaires et universitaires. Cet enseignement, mis en place en 1967-1969, traduisait une volonté ancienne : associer, sinon unifier, différentes sciences sociales autour d’objets d’étude nécessaires à la compréhension du monde contemporain. Le pari de cet enseignement, dont l’idée revient à des historiens appartenant à l’école des Annales, était double. D’une part, enseigner l’économie au lycée (il n’existait auparavant qu’un enseignement de techniques économiques dans les séries technologiques). D’autre part, affirmer que la sociologie, l’économie, mais aussi l’histoire, l’anthropologie ou la démographie, en un mot les sciences sociales, constituent des disciplines nécessaires à la réflexion du futur citoyen pour aborder les problèmes de société. C’était aussi une manière de rappeler qu’au-delà de leurs distinctions les différentes disciplines des sciences humaines partagent une même volonté : celle de comprendre les grands arrangements à travers lesquels les hommes, en société, pensent et donnent du sens à leur existence. La situation présente pourrait être simplement regrettable au regard des discussions fécondes qui se tiennent dans de larges secteurs des sciences sociales - y compris au sein de la science économique, laissée en lambeaux par la crise - et qui remettent en cause l’hégémonie de la théorie économique standard. Mais elle est d’abord catastrophique sur le plan pédagogique : les programmes sont trop lourds et infaisables, et les enseignants rencontrent des difficultés croissantes pour intéresser les élèves à ce programme fait pour le supérieur. Elle apparaît ensuite dramatique au regard de la situation historique des élèves. Ils ont entre 15 et 18 ans aujourd’hui. Leur vie traversera tout le XXIe siècle ; un siècle qui doit connaître des transformations et des défis d’une ampleur inégalée avec d’abord une situation sociale qui pourrait déboucher sur des chambardements politiques majeurs (problèmes environnementaux, gestion des ressources naturelles, conflits éventuels). Pour cette génération, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un enseignement aussi étroitement réduit au postulat de la «rationalité des acteurs», de «l’équilibre des marchés» et aux secrets de la «croissance potentielle» (grâce à laquelle on pourra justifier n’importe quelle politique d’austérité). Il faut d’urgence remettre cet enseignement sur ses bases, faire revivre intelligemment l’esprit pluridisciplinaire qui a présidé à sa création et redéfinir un programme qui donne tout simplement envie aux élèves de faire des sciences économiques et sociales.