Cette fragmentation désoriente des millions de personnes dont les choix partisans ne sont pas la préoccupation quotidienne, qui se contrefichent des destins personnels des candidats mais qui sont en attente d'un projet mobilisateur. Un projet capable d'isoler et de décrédibiliser le modèle nationaliste et xénophobe du FN, de battre aussi bien la droite que la dérive sociale libérale, de réinventer une gauche généreuse, aussi bien à la hauteur de l'exigence écologique que de la question sociale. Personne n'a le pouvoir de s'autoproclamer a priori rassembleur pour un tel projet, sauf à faire fuir une partie de celles et ceux que l'on prétend rassembler. Certes chacun aurait pu le devenir en s'inscrivant dans une construction commune mais l'effet conjugué des confusions initiales autour de la primaire de toute la gauche ( avec ou sans Hollande) et l'offensive solitaire de JL Mélenchon en ont décidé autrement.

Le ralliement à JL Mélenchon de plusieurs personnalités d'Ensemble ou du PCF n'y changera rien, bien au contraire. Le dire n'est pas s'en prendre à la personne dont la plupart des combats forcent le respect mais c'est exprimer un point de vue politique. On peut apprécier certaines de ses prestations et leur courage. Mais comment ne pas voir que coexistent une vraie attraction chez certains pour ses discours de rupture et pour d'autres plus qu'un trouble en raison de sa vision délibérément simplificatrice du monde, de ses tentations bonapartistes et des dangereux glissements de son thème du nouvel indépendantisme qui s'éloigne de la campagne de 2012. Cette ambivalence heurte toute une tradition de la pensée critique qui se refuse à des adhésions essentiellement affectives. Même rentable momentanément dans les sondages, elle fait aussi repoussoir pour un nombre d'expériences militantes, syndicales, associatives ou intellectuelles de l'engagement à gauche. Ce n'est pas la meilleure des façons d'engendrer une dynamique majoritaire. .

La difficulté à rassembler est d'autant plus grande que tout candidat ne doit pas apparaître comme le chef de file d'une seule sensibilité. Or les tensions accumulées depuis 2012 entre composantes du Front de Gauche compliquent la tâche. Ne se trouve t-on pas devant un obstacle assez analogue à celui rencontré en 2006- 2007 ? A l'époque la candidature de MG Buffet avait été rejetée parce que le caractère novateur du rassemblement ne pouvait alors avec raison s'affirmer autour de la première responsable de l'une de ses composantes bien instituée.

La machine est lancée. Je ne vois pour l'instant aucune alternative susceptible de nous sortir de cette nasse. Je ne comprends pas que l'on en vienne ainsi à liquider toute la réflexion et les pratiques amorcées depuis le choc de 2002 lors de l'arrivée de JM Le Pen au second tour de la Présidentielle. Il s'agissait alors de changer la gauche, de faire de la politique autrement, de réconcilier la rue et les urnes, de réinvestir le champ politique avec le mouvement social. J'ai le sentiment que cette histoire est aujourd'hui balayée par la logique de l'élection présidentielle et son hyper personnalisation.

J'ai vu les efforts faits lors de la fête de l'humanité pour au moins éviter l'éclatement des candidatures mais cela vient après un long flottement sur les primaires. Le PCF lui-même est visiblement très divisé et hésite entre simple sauvegarde du parti et de choix stratégiques. Je ne vois pas où vont les « frondeurs » , je ne comprends pas la stratégie d'EELV et encore moins celle des signataires de l'appel « En 2017, faisons Front commun! » qui disaient en juin vouloir préserver le Front de Gauche et et intronisent aujourd'hui JL Mélenchon..

Nous voilà donc désormais promis à une gauche alternative fissurée si ce n'est éclatée, condamnée à jouer au mieux les seconds rôles, avec un leadership de JL Mélenchon établi au forceps, sur un projet pour le moins ambigu, avec des ralliements plus ou moins résignés, affranchi de tout cadre concerté et appelé à être concurrencé dans son propre espace par d'autres candidatures.. Est-il encore temps d'éviter un tel naufrage ? Est-il encore possible de donner corps à un mouvement de la gauche critique pour la présidentielle et les législatives de 2017 résolument divers, audacieux, riche de son pluralisme et ayant assez d'énergie et de confiance en soi pour s'incarner au travers de personnalités fortes de leur humilité  ? Oui, si « le pire n'est jamais certain » !

François Labroille Ex conseiller régional « Alternative citoyenne » en ile de France Le 18 septembre 2016