Françoise Héritier par Thierry Paquot

C’est en haut de Belleville, dans son appartement traversé par un soleil généreux qu’elle me reçoit, malgré des douleurs qui l’empêchent de sortir et de marcher. Il émane de son visage souriant à la fois une douceur et une force. Elle parle avec détermination, sait ce qu’elle veut dire et en même temps semble élaborer sa réponse, avancer en elle-même, trouver le mot juste. Françoise Héritier, née en 1933, a succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France, à la chaire d’anthropologie. Ses travaux portent sur l’identité, la différence, le masculin et le féminin, mais aussi la violence. Ils sont en phase avec ce qui “travaille” la société française (et plus généralement occidentale) sans prétendre apporter des solutions opérationnelles immédiatement. Ce sont des travaux théoriques qui visent à rendre intelligible ce qui bien souvent paraît évident (un homme, une femme) alors qu’en fait, il s’agit d’une longue et terrible construction inégalitaire que chacun intègre justement comme une évidence. Le détour par une société apparemment autre permet ce retour critique qui éclaire la question posée, voire la reformule. Minutieuse dans ses descriptions et exigeante dans la formulation tant de ses hypothèses que de son argumentation, Françoise Héritier est une intellectuelle perfectionniste, qui se refuse à l’à-peu-près ou à la pensée-prête-à-être-consommée. Les relations interindividuelles s’avèrent toujours riches et sophistiquées, tant d’un point de vue symbolique que d’un point de vue “sociétal”, qu’elles se nouent dans un village du Burkina-Faso ou dans un quartier d’une mégalopole. En ce sens, l’anthropologie, par son effort de construction théorique, contribue à la compréhension de l’humanité de l’humain, cette pensée parfois sauvage