A qui profite le Grand Paris ?

| 27.01.11 | 13h39  •  Mis à jour le 27.01.11 | 13h44

Cols blancs pressés et banlieusards stressés devraient souffler. D'ici à 2025, l'exténuant périple quotidien des Franciliens qui passent en moyenne une heure et demie par jour dans les transports en commun pourrait devenir une promenade de santé. Le "protocole entre l'Etat et la région relatif aux transports en Ile-de-France" a été qualifié par Jean-Paul Huchon, président (PS) du conseil régional, et Maurice Leroy, ministre de la ville, chargé du Grand Paris, d'"historique" lors de sa présentation en grande pompe, mercredi 26 janvier. Pour la première fois depuis la fin des années 1990, un gouvernement décide d'investir massivement dans les transports de la première région française. Alors que l'Etat et le conseil régional chargés effectivement de ce secteur depuis 2006 se renvoient la responsabilité de l'obsolescence des RER et de la saturation des métros, l'accord présenté mercredi signe une volonté commune de conjuguer les moyens par-delà les jeux de rôle partisans. Cet accord, enfin, porte un projet que caressent depuis des décennies les ingénieurs et les élus : un métro circulaire autour de Paris qui met un terme à la congestion de la capitale et remédie à l'usage toujours trop massif de la voiture. Pour autant, l'union sacrée politique PS-PCF-UMP-Nouveau Centre que suscite l'accord - dénoncé par les écologistes - ne suffit à masquer ni le flou qui l'entoure ni les incertitudes sur sa mise en oeuvre. Réduction des temps de parcours et désaturation. Pour Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre, délégué chargé du Grand Paris à la région Ile-de-France, "tout le monde est gagnant". A commencer "par les Franciliens d'aujourd'hui"."Dans ce plan, il y a du plus et du mieux", s'est félicité, lors de la présentation du "protocole", Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie et des transports. Le plus est un projet de métro automatique d'une longueur estimée entre 120 et 170 km, qui ondulera autour de Paris d'ici à 2025. Son tracé résulte de la fusion entre le projet baptisé Arc Express, défendu par le conseil régional, et la "double boucle" imaginée par Christian Blanc, ex-secrétaire d'Etat à la région capitale (2008-2010). Les deux projets présentés comme concurrents dans les deux débats publics qui se terminent le 31 janvier s'articulent finalement assez naturellement. Accélération et rattrapage. Le futur métro devrait désaturer Paris par une boucle en petite couronne, désenclaver les cités par un double arc à l'est et relier la capitale au monde par des liaisons rapides aux aéroports. Mais tout n'est pas réglé. Dans l'Essonne, le gouvernement a pris l'engagement de desservir le plateau de Saclay par un métro automatique d'ici à 2020, mais la région s'y oppose. Ce tronçon reste donc hypothétique. Au sud-est, l'Etat n'a pas encore validé le tracé du métro à cheval sur le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. La Société du Grand Paris, maître d'ouvrage désigné par la loi de juin 2010 pour réaliser la rocade, envisageait des gares tous les 4 km. Le projet final en prévoit une environ tous les 1,5 km au maximum - 500 m pour le métro. Le nombre de stations n'est toutefois pas arrêté. Grâce à cette rocade, les gains de temps seront de toute façon importants. Pour aller de Châtillon (Hauts-de-Seine) à Créteil (Val-de-Marne), comme pour aller du nord des Hauts-de-Seine à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), il faudra 20 minutes de moins qu'au-jourd'hui. L'aéroport d'Orly ne sera plus qu'à 35 minutes, sans changement, de la gare Saint-Lazare, contre près d'une heure à ce jour. Roissy sera à seulement 25 minutes de Paris contre 45 au mieux, actuellement. "A condition qu'il y ait plus de trains avec une alternance d'omnibus et de métros rapides", met en garde l'urbaniste Jean-Marie Duthilleul. Cheville ouvrière du projet de transports conçu par les dix équipes d'architectes missionnées en 2007 par M. Sarkozy sur le Grand Paris, M. Duthilleul insiste : "La connexion des lignes et la régularité des trains est aussi stratégique que la création de nouveaux tracés." Le protocole intègre le "plan de mobilisation" de la région qui porte sur 60 projets à réaliser d'ici à 2020 - hors rocade de métro -, dont 24 sont déjà engagés. Les priorités portent sur la modernisation des RER A, C et D et sur l'extension du RER E-Eole entre Saint-Lazare et la Défense. Dans le cadre de ce plan, l'Etat s'engage à honorer des promesses déjà anciennes s'agissant du financement de liaison en bus entre Massy et Saclay ou bien du tramway de Clichy-Montfermeil. Et d'autres qui sont nouvelles, comme le cofinancement du prolongement du tramway des Maréchaux de la porte de la Chapelle jusqu'à la porte d'Asnières (T3) pour exaucer les demandes réitérées de Bertrand Delanoë. Un plan de financement incertain. Sur le papier, la manne est considérable : 32,4 milliards d'euros sur quinze ans sont prévus. L'effort de l'Etat et des collectivités se répartit de manière presque égale. Pour la région, les huit départements d'Ile-de-France et le Syndicat des transports d'Ile-de-France, l'effort est de plus de 11 milliards d'euros. Il est de près de 10 milliards pour l'Etat, dont 1,08 milliard d'euros d'ici à 2013, soit quasiment le double de ses crédits actuels. A cela s'ajoutent 9 milliards d'euros issus de l'augmentation de la fiscalité sur les entreprises, votée par le Parlement pour rembourser l'emprunt de 7 milliards contracté pour construire la rocade. Mais cette hausse de la fiscalité ne suffira pas à couvrir aussi le coût d'exploitation du réseau. Il convient de distinguer les engagements fermes et les promesses. L'épreuve de vérité pour l'Etat se situe en 2014, quand il devra débourser les 4 milliards prévus pour la caution nécessaire à l'emprunt de la Société du Grand Paris. Il faudra encore des modifications législatives pour débloquer de nouvelles recettes fiscales. Le gouvernement s'est engagé à rouvrir le chantier financier après la présidentielle. Rendez-vous est pris en 2013 pour dresser le bilan des besoins. Probable flambée de l'immobilier. Les banlieues vont bénéficier du projet, surtout à l'est, avec une double desserte en métro automatique. Mais l'arrivée d'un nouveau réseau de transport en commun comporte un risque : amplifier la relégation de populations les plus modestes toujours plus loin de Paris sous l'effet de la montée des prix des terrains autour des gares. "On a pris le problème à l'envers, affirme l'architecte Roland Castro. Au lieu de commencer par les transports, l'urgence était d'imaginer la manière d'urbaniser et d'humaniser le Grand Paris." A ce jour, les dix équipes d'architectes, bien que souvent consultées par le chef de l'Etat, manquent de moyens pour approfondir leurs études. Pourtant, le Grand Paris ne peut pas se résumer à ce qu'ils appellent "un plat de spaghettis" : une carte des RER, trains, bus et métros. Même s'ils arrivent, enfin, à l'heure. Béatrice Jérôme Article paru dans l'édition du 28.01.11

L'euphorie unanime des élus de Seine-Saint-Denis

| 27.01.11 | 13h39  •  Mis à jour le 27.01.11 | 13h39

Le Grand Paris peut-il aider la Seine-Saint-Denis à rebondir ? Les élus du département étaient euphoriques, mercredi 26 janvier, après l'annonce d'un accord sur le Grand Paris débouchant sur la promesse de réaliser une double ligne de métro dans le 9-3. La première reliant Champigny et Le Bourget par Clichy-Montfermeil. La seconde reliant Noisy-le-Grand et Saint-Denis par Bobigny. "Une victoire pour la Seine-Saint-Denis", s'est félicité le président (PS) du conseil général, Claude Bartolone, en se disant convaincu que cet accord contribuait à faire de la Seine-Saint-Denis le nouveau "centre de gravité" de l'Ile-de-France. "C'est une grande date pour le département", s'est réjoui Claude Dilain, le maire socialiste de Clichy-sous-Bois. "Je suis fou de joie", a réagi Eric Raoult, député UMP et maire du Raincy, en se félicitant du "consensus historique" entre l'Etat et la région et entre la droite et la gauche. Alors que, dans un premier temps, les élus du département s'étaient divisés en fonction de leurs intérêts locaux, l'idée de créer deux lignes de métro traversant le territoire a provoqué une union sacrée. En novembre 2010, les maires de Clichy-sous-Bois, Livry-Gargan, Montfermeil, Sevran et Aulnay-sous-Bois avaient ainsi constitué une association commune pour défendre les intérêts du "quart nord-est de la Seine-Saint-Denis" et demander la réalisation de deux boucles de métro. Fin 2010, ce sont les élus du conseil général qui ont adopté à l'unanimité une résolution demandant la création de deux lignes. Il y a quelques jours, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne se sont entendus pour défendre un projet commun devant l'Etat et la région. Les élus insistent sur les effets positifs de long terme de ces avancées sur les transports. Celles-ci renforcent les projets de développement, notamment les sites d'excellence identifiés par l'Etat : quatre des huit pôles du Grand Paris sont situés en Seine-Saint-Denis, avec Roissy, Noisy-le-Grand, Saint-Denis et Le Bourget. L'amélioration des transports doit aussi permettre de défendre les actuels points forts du département, par exemple autour du Stade de France, où des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux ont été créés ces dernières années. "La Seine-Saint-Denis n'est plus désormais considérée comme un simple dortoir pour des centaines de milliers de salariés, mais est reconnue comme un véritable moteur du développement métropolitain", explique M. Bartolone. "On sort de la logique des faits-divers pour la Seine-Saint-Denis, on n'est plus sur une logique conflictuelle, mais on parle de développement économique", souligne M. Raoult. Les maires des villes les plus pauvres, qui doivent gérer l'urgence sociale au quotidien, se félicitent aussi de disposer de projets ambitieux pour désenclaver leurs territoires. "Le développement de la métropole se fait à l'est. Avec les transports, ce sont des éléments structurels pour la Seine-Saint-Denis. C'est une évolution qui aurait dû avoir lieu il y a vingt-cinq ans mais c'est essentiel pour un département qui a longtemps été délaissé", explique Stéphane Gatignon, maire Europe Ecologie de Sevran. "Le désenclavement, c'est une nécessité pour les habitants. Mais le projet de métro nous permet d'aller plus loin et de penser aux équipements structurants pour nos villes", souligne de son côté Claude Dilain, le maire de Clichy-sous-Bois, en donnant les exemples du projet de Villa Médicis des banlieues à Montfermeil, le projet d'une université à Aulnay-sous-Bois ou l'idée d'installer un équipement sportif et culturel international à Livry-Gargan. Luc Bronner Article paru dans l'édition du 28.01.11

Les écologistes ont pesé sur la négociation, mais refusent toujours de valider le projet
| 27.01.11 | 13h39

Entre le PS et les écologistes, le divorce est consommé sur le projet de transports du Grand Paris. L'accord entre l'Etat et la région n'est qu'une "opération de communication" tissée de "promesses sans lendemain", a asséné, mercredi 26 janvier, Cécile Duflot, patronne d'Europe Ecologie-Les Verts et élue régionale. Après avoir convaincu Jean-Paul Huchon, le patron de la région, de rejeter une première proposition d'accord du ministre de la ville, Maurice Leroy, le 10 janvier, les écologistes avaient posé des conditions qui, pour la plupart, ont été retenues par l'Etat. M. Huchon envisageait initialement d'accepter le projet d'un métro automatique sur le plateau de Saclay, cher à Nicolas Sarkozy. Sous la pression des écologistes, il a été décidé que la région et l'Etat actent leur "désaccord" sur ce point. Pendant la négociation, la révélation d'une note confidentielle des services de la région a également permis aux écologistes de faire valoir leurs revendications financières auprès de l'Etat. "Constatant que l'impasse budgétaire pour le Syndicat des transports d'Ile-de-France et les collectivités locales est considérable", le document concluait que, "dès lors, aucun accord ne devrait être considéré comme acquis à ce prix". Cela n'a pas suffi. Comme Pascale Le Néouannic, président du groupe Front de gauche et alternatifs à la région, EELV considère toujours que l'accord est "un marché de dupes" : pas assez de gares sur la future rocade, la région se laisse déposséder de ses prérogatives par l'Etat, etc. Pour le PS, le "niet" des écologistes est tactique. A la tête des troupes EELV à la région, "Cécile Duflot doit tenir compte des ayatollahs de son groupe", explique un membre du cabinet de M. Huchon. Taclant implicitement la position d'EELV, Nathalie Kosciusko-Morizet, la ministre de l'écologie, a rappelé lors de la présentation de l'accord, mercredi, qu'"être pour l'écologie, c'est vouloir plus de transports en commun". "C'est facile de faire la belle en conférence de presse quand on ne prend pas souvent le RER", lui a répondu, mercredi, Mme Duflot. Béatrice Jérôme Article paru dans l'édition du 28.01.11

"L'urgence était de moderniser et d'améliorer les transports existants"

| 27.01.11 | 13h39

Pour parvenir à un accord avec la région, n'avez-vous pas dû revoir à la baisse le projet initial de l'Etat conçu par Christian Blanc ? Sans Christian Blanc qui a mis en oeuvre le projet du président de la République, il n'y aurait pas de Grand Paris. Il a fait voter, le 3 juin 2010, une loi qui donne les outils nécessaires. Selon moi l'urgence était de moderniser et d'améliorer les transports existants. C'est ce qu'attendent les Franciliens, et ils l'ont exprimé dans les 60 débats publics qui se sont tenus depuis six mois. Le Grand Paris a besoin d'utopie et de rêve. Mais aussi de concret. Pour que les gens y croient, il faut que leur vie change dans les RER C et D dès 2011. Et nous y travaillons avec Nathalie Kosciusko-Morizet, responsable des crédits de l'Etat sur le plan de mobilisation des transports. Ma méthode est simple : le dialogue. J'ai d'emblée mis tous les acteurs politiques et les décideurs autour d'une même table. Je suis parti du projet des architectes consultés sur le Grand Paris. Plutôt qu'une rocade entièrement nouvelle, ils nous ont fait prendre conscience qu'on pouvait tenir nos engagements en utilisant en partie le réseau existant. C'est une autre évolution qui permet de tenir les objectifs du projet initial. Christian Blanc a beaucoup insisté sur la nécessité de relier les "clusters", autrement dit les pôles de développement de la région, par un grand métro. L'attractivité économique ne se résume bien sûr pas à de grandes "patates" cultivées "hors sol" ! Un point essentiel posé par le président de la République ne sera jamais remis en cause par l'Etat : desservir le plateau de Saclay à une demi-heure de Paris. Seul un métro automatique permettra d'y parvenir. L'Etat s'y engage, et je note que les conseillers généraux de l'Essonne, avec leur président Michel Berson, ont adopté à l'unanimité ce mode de desserte en métro automatique. Le grand métro pour lequel vous injectez des milliards n'est-il pas le cache-misère de la politique de M. Sarkozy dans les banlieues ? Ce plan transports va changer la vie des cités. Le Grand Paris est l'occasion de désenclaver les quartiers sensibles en améliorant les transports de banlieue à banlieue. C'est Nicolas Sarkozy et François Fillon qui ont réuni dans un même ministère, de plein exercice, la politique de la ville, avec la rénovation urbaine, l'égalité des chances, et le projet du Grand Paris. Desservir par exemple Clichy-Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, par un nouveau métro, c'est permettre à ces habitants, et aux jeunes tout particulièrement, d'être reliés efficacement au bassin d'emploi de Roissy qui est aujourd'hui à une heure trente ! Il est fondamental de traiter les quartiers sensibles par l'emploi et le développement économique plutôt que seulement par le social qui, si on le traite de façon isolée, est un puits sans fond. Mieux conjuguer l'humain et l'urbain dans tous les quartiers sensibles de notre pays, c'est cela le réel enjeu. Propos recueillis par Béatrice Jérôme